Editorial
Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus de la Sainte Face est connue pour être une sœur universelle, patronne des missions, tellement son cœur débordait d’amour pour les hommes les plus éloignés géographiquement, comme aussi pour les pécheurs, c’est ce que nous goûterons dans le prochain feuillet.
Mais Thérèse est aussi celle qui a vécu très concrètement au quotidien dans son Carmel la vie fraternelle avec exigence, profondeur et une radicalité toute évangélique. Avec son génie propre, elle a su dépasser les difficultés que nous pouvons connaître aussi. Laissons-nous toucher par son expérience.
Son histoire familiale, l’amour et l’attention à chacun de ses parents et de ses sœurs, l’ont certainement façonnée. Cependant rien n’est facile et acquis même dans un Carmel. Thérèse va s’exercer à l’attention à toutes ses sœurs et à la charité.
Comme souvent c’est dans la Parole de Dieu que Thérèse enracine sa démarche, cf manuscrit C de Thérèse adressé à Mère Marie de Gonzagues, MC folio 11 et 12 :
« Cette année, ma Mère chérie, le bon Dieu m’a fait la grâce de comprendre ce que c’est que la charité, avant je le comprenais, il est vrai, mais d’une manière imparfaite, je n’avais pas approfondi cette parole de Jésus: “Le second commandement est semblable au premier: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.”
Je m’appliquais surtout à aimer Dieu (…) je compris qu’il ne fallait pas que mon amour se traduise seulement par des paroles. (…) (Sa) volonté, Jésus l’a fait connaître plusieurs fois, je devrais dire presque à chaque page de son Évangile, mais à la dernière cène, (…), ce doux Sauveur veut leur donner (à ses disciples) un commandement nouveau. Il leur dit avec une inexprimable tendresse: Je vous fais un commandement nouveau, c’est de vous entr’aimer, et que comme je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. La marque à quoi tout le monde connaîtra que vous êtes mes disciples, c’est si vous vous entr’aimez. Comment Jésus a-t-Il aimé ses disciples et pourquoi les a-t-Il aimés? .(…) Jésus les appelle ses amis, ses frères, (…), Il veut mourir sur une croix car Il a dit : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Mère bien-aimée, en méditant ces paroles de Jésus, j’ai compris combien mon amour pour mes soeurs était imparfait, j’ai vu que je ne les aimais pas comme le Bon Dieu les aime. Ah! je comprends maintenant que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses, à s’édifier des plus petits actes de vertus qu’on leur voit pratiquer, mais surtout j’ai compris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du cœur : Personne, a dit Jésus, n’allume un flambeau pour le mettre sous le boisseau, mais on le met sur le chandelier, afin qu’il éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Il me semble que ce flambeau représente la charité qui doit éclairer, réjouir, non seulement ceux qui me sont les plus chers, mais tous ceux qui sont dans la maison, sans excepter personne.
(…) Lorsque Jésus fit à ses apôtres un commandement nouveau, son commandement à lui,(…), ce n’est plus d’aimer le prochain comme soi-même qu’Il parle mais de l’aimer comme Lui, Jésus, l’a aimé, comme Il l’aimera jusqu’à la consommation des siècles…
Ah! Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d’impossible, vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes soeurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi. C’est parce que vous voulez m’accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau. – Oh! que je l’aime puisqu’il me donne l’assurance que votre volonté est d’aimer en moi tous ceux que vous me commandez d’aimer!…
Oui je le sens lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes soeurs.(…).»
Thérèse poursuit en donnant de nombreux exemples concrets et ne cache pas ses difficultés, cf Manuscrit C folio 13 à 15 :
«Il se trouve dans la communauté une soeur qui a le talent de me déplaire en toutes choses, ses manières, ses paroles, son caractère me semblaient très désagréables, cependant c’est une sainte religieuse qui doit être très agréable au bon Dieu, aussi ne voulant pas céder à l’antipathie naturelle que j’éprouvais, je me suis dit que la charité ne devait pas consister dans les sentiments, mais dans les oeuvres, alors je me suis appliquée à faire pour cette soeur ce que j’aurais fait pour la personne que j’aime le plus. A chaque fois que je la rencontrais je priais le bon Dieu pour elle, Lui offrant toutes ses vertus et ses mérites. Je sentais bien que cela faisait plaisir à Jésus, car il n’est pas d’artiste qui n’aime à recevoir des louanges de ses oeuvres et Jésus l’Artiste des âmes est heureux lorsqu’on ne s’arrête pas à l’extérieur mais que pénétrant jusqu’au sanctuaire intime qu’il s’est choisi pour demeure, on en admire la beauté. Je ne me contentais pas de prier beaucoup pour la soeur qui me donnait tant de combats, je tâchais de lui rendre tous les services possibles et quand j’avais la tentation de lui répondre d’une façon désagréable, je me contentais de lui faire mon plus aimable sourire et je tâchais de détourner la conversation, car il est dit dans l’Imitation : « Il vaut mieux laisser chacun dans son sentiment que de s’arrêter à contester ». Souvent aussi lorsque je n’étais pas à la récréation (je veux dire pendant les heures de travail), ayant quelques rapports d’emploi avec cette soeur, lorsque mes combats étaient trop violents, je m’enfuyais comme un déserteur. Comme elle ignorait absolument ce que je sentais pour elle, jamais elle n’a soupçonné les motifs de ma conduite et demeure persuadée que son caractère m’est agréable. Un jour à la récréation elle me dit à peu près ces paroles d’un air très content: “Voudriez-vous me dire, ma Sr Th. de l’Enf. Jésus, ce qui vous attire tant vers moi, à chaque fois que vous me regardez, je vous vois sourire?” Ah! ce qui m’attirait, c’était Jésus caché au fond de son âme… Jésus qui rend doux ce qu’il y a de plus amer. Je lui répondis que je souriais parce que j’étais contente de la voir (bien entendu je n’ajoutai pas que c’était au point de vue spirituel).
Dans l’Évangile, le Seigneur explique en quoi consiste son commandement nouveau. Il dit en St Matthieu: «(…) Pour moi, je vous dis: aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent.” Sans doute, au Carmel on ne rencontre pas d’ennemis, mais enfin il y a des sympathies, on se sent attirée vers telle soeur au lieu que telle autre vous ferait faire un long détour pour éviter de la rencontrer, ainsi sans même le savoir, elle devient un sujet de persécution. Eh bien! Jésus me dit que cette soeur, il faut l’aimer, qu’il faut prier pour elle, quand même sa conduite me porterait à croire qu’elle ne m’aime pas. (…) Et ce n’est pas assez d’aimer, il faut le prouver (…) Donner à toutes celles qui demandent, c’est moins doux que d’offrir soi-même par le mouvement de son coeur; (…) si par malheur on n’use pas de paroles assez délicates, aussitôt l’âme se révolte si elle n’est pas affermie sur la charité.»
Enfin Thérèse dans la monotonie de la vie claustrale veillait à entretenir dans la communauté une atmosphère de joie. Ses sœurs témoigneront de sa «conversation si agréable, si spirituelle». En récréation surtout elle voulait semer la bonne humeur, « elle cherchait de préférence la compagnie des sœurs maussades pour les détendre et les épanouir » Mère Agnès au Procès de l’ordinaire. Sa gaité, expression de son amour délicat envers Dieu, était l’une des manifestations de sa charité fraternelle.
Résonance pour notre vie :
L’expérience de Thérèse nous rejoint et nous interpelle.
Qu’est-ce qui nous touche le plus dans ses remarques et exemples ?
Pouvons-nous faire mémoire des joies que nous avons découvertes en tendant la main à nos frères ou sœurs ?
Quelles sont les situations plus difficiles, voire bloquées, où nous aimerions avancer : quels gestes ( acte concret ou prière), pourrions nous inventer, mettre en place en toute discrétion ?
Prière :
Thérèse nous devance dans cet amour du frère en qui Jésus habite. Elle nous invite à lui confier nos relations fraternelles avec nos plus proches.
Poésie « Vivre d’Amour » PN 17, 8 :
Vivre d’Amour, c’est naviguer sans cesse
Semant la paix, la joie dans tous les coeurs
Pilote Aimé, la Charité me presse
Car je te vois dans les âmes mes soeurs
La Charité voilà ma seule étoile
A sa clarté je vogue sans détour
J’ai ma devise écrite sur ma voile:
«Vivre d’Amour.»