Editorial.
Enfant, Thérèse jouissait d’un heureux caractère qui contribuait à lui rendre la vie agréable. Mais après la mort de sa maman puis le départ pour le Carmel de ses deux sœurs, mamans de remplacement, Thérèse alternera moments de joie et fragilités, crises psychologiques diverses. La grâce de la nuit de Noël s’avère une grâce de force et une effusion de l’Esprit d’amour : au lieu de vivre repliée sur elle même, elle se met désormais au service d’autrui. :
« je sentis un grand désir de travailler à la conversion des pécheurs (…), je sentis la charité entrer dans mon cœur, le besoin de m’oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse ! » (Manuscrit MA 54 v)
A partir de ce moment Thérèse n’a cessé de vouloir accueillir tous les instants que Dieu lui donnait de vivre comme des cadeaux merveilleux à ne pas gaspiller, puisqu’ils étaient tous des moments uniques où elle pouvait aimer le Seigneur de tout son cœur et travailler aussi à la conversion de ses frères.
La Joie selon Thérèse : faire plaisir, donner de la joie
« Oh ma Mère, la charité fraternelle, c’est tout sur la terre. On aime Dieu dans la mesure où on la pratique » (Procès Apostolique p 174) «La charité écrit Thérèse, ne doit pas rester enfermée dans le fond du cœur » (MC12 r) Il ne suffit donc pas d’aimer les autres : il faut qu’ils se sentent aimés, qu’ils se sentent entourés de notre affection fraternelle et qu’ils s’en réjouissent : « La charité doit éclairer, réjouir, écrit Thérèse, non seulement ceux qui me sont les plus chers, mais tous ceux qui sont dans la maison, sans excepter personne » (MC12 r) Et l’on sait combien Thérèse avait à cœur de semer la joie dans les récréations communautaires. Elle essayait de dérider les visages maussades par sa gaité communicative et se plaçait bien volontiers à côté de sœur Thérèse de saint Augustin. …Nous connaissons moins ce témoignage de Sr Marie de la Trinité : « Les nouvelles de la santé de notre sainte malade étaient de plus en plus tristes et j’en étouffais de peine. Un après midi, j’allai au jardin et je l’aperçus dans sa petite voiture d’infirme…elle me fit signe d’approcher. « Non lui dis-je, on nous verrait et je n’ai pas la permission de vous parler » J’entrai dans le petit ermitage (…) je me mis à pleurer, la tête entre les mains. En la relevant, je vis avec surprise ma petite sœur assise (…) à côté de moi. Elle me dit « Moi je n’ai pas la défense de venir à vous ; dussè-je en mourir, je veux vous consoler ». Elle essuya mes larmes et appuya ma tête sur son cœur. Je la suppliais de retourner dans sa voiture, car elle tremblait de fièvre : « oui, mais pas avant que vous ne m’ayez souri ! » J’obéis de suite, craignant qu’elle ne prenne du mal, et je l’aidais à regagner sa voiture » (Circulaire p 15-16). La gaité de Thérèse était l’expression de son amour pour Dieu et de sa parfaite acceptation de la volonté divine, mais elle était aussi l’expression de son désir de consoler son entourage, attristé par ses souffrances et par la perspective de la séparation.
Au jour le jour au Carmel, Thérèse étonnera par sa disponibilité, sa serviabilité : « C’était son habitude, a déclaré mère Agnès, de ne jamais paraître pressée pour laisser la liberté aux sœurs de lui demander des services et avoir ainsi l’occasion de suivre le conseil de Notre Seigneur (…) : « n’évitez pas celui qui veut emprunter de vous » (PA p 173-174). Ses temps libres appartiennent autant à ses sœurs qu’à elle-même : elle considère donc comme chose normale d’être dérangée, d’où le sourire absolument sincère qui éclaire son visage. « Telle heure libre, je la consacre au dérangement et, si je suis tranquille, j’en remercierai le bon Dieu comme d’une grâce sur laquelle je ne comptais pas. De cette façon rien ne me surprend jamais. Aussi je suis toujours heureuse » (Conseils et Souvenirs sr Geneviève 104). Dieu aussi permet la présence de personnes qui l’énervent, elle dit en profiter pour leur offrir un nouveau sourire…un sourire que le Seigneur recevra avec joie et qu’il fera servir à la conversion des pécheurs. C’est toujours Jésus qui nous demande alors de revêtir la tenue du serviteur : c’est donc une joie réelle.
La Joie, c’est aussi suivre le Christ humble et souffrant
Face à nos limites de tout genre, Thérèse conseille de se glorifier de sa faiblesse : « il y a bientôt neuf ans que je suis dans la maison du Seigneur, je devrais donc être déjà avancée dans les voies de la perfection, mais je suis encore au bas de l’échelle; cela ne me décourage pas et je suis aussi gaie que la cigale,… » (Lettre LT 202). A Mère Agnès trois jours avant de descendre à l’infirmerie, elle dira : « il m’arrive bien aussi des faiblesses, mais je m’en réjouis (…) Alors je rentre en moi-même et je me dis : Hélas ! j’en suis donc encore au même point comme autrefois ! Mais je me dis cela avec une grande douceur et sans tristesse. c’est si doux de se sentir faible et petit » (Carnet Jaune 5.7.1) et encore «J’éprouve une joie très vive non seulement lorsqu’on me trouve imparfaite, mais surtout de m’y sentir moi-même. Cela surpasse tous les compliments qui m’ennuient » (CJ 2.8.6). Thérèse sait que le Seigneur «n’est pas venu « pour les justes mais pour les pécheurs » (Mt 9,13). Cet appel à l’humilité nous fait participer à l’humilité même de Jésus.
Aussi devant la jalousie qui peut naître devant les talents et progrès des autres, Thérèse pense que Dieu a décidé de donner à chaque âme un certain degré de sainteté et qu’il faut accueillir cette inégalité. Elle conseille de se contenter d’être des « pâquerettes ou des violettes » dans le « jardin de Jésus » si telle est notre vocation, et de ne pas envier le sort « des lys et des roses » : «Ainsi en est-il dans le monde des âmes qui est le jardin de Jésus. Il a voulu créer les grands saints, mais il en a créé aussi des plus petits » (MA 2v). Il faut même se réjouir des qualités et mérites de ses frères quand on les considère comme un bien de famille, que l’on peut offrir à Dieu dans la prière comme ceux de tous les saints.
cf Prière 6
Enfin face à la souffrance, si elle sait que « souffrir avec courage, ce ne serait pas ressembler à Jésus » et déduit « acceptons de souffrir sans courage » (LT 89 de 1889), Thérèse écrira à Léonie : « Il te trouve digne de souffrir pour son amour et c’est la plus grande preuve de tendresse qu’il puisse te donner, car c’est la souffrance qui nous rend semblable à Lui » (LT 173 de 1895). Dans son manuscrit C, elle s’exclame « Est-il une joie plus grande que celle de souffrir pour votre amour » (MC 7). Cette souffrance elle ne la vit pas comme une réalité négative : si elle est vécue par amour dans le sillage de Jésus, elle devient pour Thérèse une source de maturité humaine et de purification personnelle et rédemptrice. Depuis la grâce de sa seconde Communion, Thérèse se demandait comment suivre Jésus jusqu’au Calvaire, comment « perdre sa vie », tout en étant dans la joie et la paix promises par Jésus à ses disciples : « Je vous ai dit cela pour que la joie, la mienne, soit en vous et que votre joie trouve sa plénitude » (Jn 15,14). Aussi à sa sœur Léonie, elle affirmait : « réunies dans le ciel, nous serons heureuses d’avoir souffert pour Jésus » (LT 170 de 1894).
Faire oraison, contempler Jésus, c’est aller à la source de la joie
Thérèse en fait l’expérience : « Oui, je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi : plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs » (MC12 v). La prière adoucit le cœur et prépare aux rencontres que l’on doit avoir avec les autres, y compris les plus difficiles : « Je vois avec bonheur qu’en l’aimant (Jésus), le cœur s’agrandit, qu’il peut donner incomparablement plus de tendresse à ceux qui lui sont chers que s’il était concentré dans un amour égoïste et infructueux » (MC 21v 22r)… Dans la prière, l’âme s’abandonne dans les mains du potier divin pour être façonnée à son image, pour devenir ce qu’il désire faire de chacun de nous. En fait, la volonté de Jésus est de venir aimer en nous tous ceux qu’il nous commande d’aimer.
Résonnance dans ma vie :
- Est-ce que j’ai déjà expérimenté que dans la prière Dieu façonne mon cœur peu à peu si je le lui demande et peu à peu me donne de lui ressembler… en accueillant les autres avec le sourire, en parvenant à pardonner… ?
- Est-ce que j’arrive à offrir au Seigneur dans la confiance et la joie, mes fragilités, mes échecs, mon péché en croyant qu’Il m’accueille et peut agir à travers tout cela ?
- Est-ce que je connais autour de moi des malades, des personnes handicapées qui rayonnent d’une joie inexplicable, peut-être de la paix et de la joie du Christ Ressuscité
Prière.
Osons demander au Seigneur dans une prière confiante, persévérante, qu’Il envahisse notre cœur de son Esprit afin que nous puissions aimer nos frères comme Il nous aime, avec un cœur joyeux et tout brûlant d’amour :
« Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit.
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !…
Oh ! je t’aime Jésus ! Vers toi mon âme aspire
Pour un jour seulement, reste mon doux appui.
Viens régner dans mon cœur, donne-moi ton sourire,
Rien que pour aujourd’hui ! »
Poésie : PN 5, 1-2 (1er juin 1894)